De la poussière plein le corps
December 11th, 2009
Fin de journée, les murs habituellement blancs en face de ma chambre sont roses avec la lumière du soleil qui se couche. J’adore. D’ailleurs c’est pas rose, c’est mauve.
Désormais on peut dire qu’il fait froid. J’imagine l’air qui frôle les pics de l’Himalaya, se refroidit à l’extrême sur le toit du monde, puis descend vers le Pendjab, vers Jalandhar en longeant la frontière avec le Pakistan pour se rapprocher de ma chambre. Brrrr j’en ai froid dans le dos, rien que d’y penser.
Et là je me dis que ça doit être vraiment dur pour les gens qui vivent dans la rue. Ils sont des dizaines à dormir dans l’herbe au milieu des ronds-points, avec le bruit des Klaxons toute la nuit. Lorsque je passe près de leur campement, je peux pas m’empêcher de les regarder derrière les barrières sur le rebord de la route. Ces barrières sont peintes aux couleurs du drapeau indien. Orange, blanc, vert. Ces hommes ont les traits tirés à l’extrême, leurs vêtements sont couverts de tâches et ils ont les cheveux en bataille. Ils vivent en groupe comme ça sous des bâches. Je les vois le matin en train de se faire chauffer de l’eau. Il y en a toujours un dans un coin en train de pisser contre un mur et un autre en train de fumer un bidi, feuille de tabac roulée sur elle-même et qu’on appelle aussi Indian cigarette.
Ces hommes je ne crois pas les avoir vus mendier. Seuls les femmes et les enfants mendient. Quand j’y pense j’ai l’impression que la poussière et les tâches sont leur quotidien à un point tel que de la terre est entrée dans les pores de leur peau et a rendu leurs yeux jaunes et leurs dents marrons. Je peux les voir se chauffer près de quelques journaux qui brûlent respirant la fumée noire.
Les maisons des gens aisés comportent souvent un deuxième étage qui ne sert pas vraiment. Il y a là-haut d’immenses chambres vides. Un jour, alors que je visitais le deuxième étage de la maison d’une de mes collègues, j’ai vu un petit lit sur la terrasse dehors. Il s’agissait de là où dormait le serviteur de la famille. Je suis resté bloqué sur ses affaires roulées en boule. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi il ne logeait pas dans une de ces fameuses pièces vides. Mon hôte a répondu : “Il préfère dormir dehors, c’est lui qui nous l’a demandé”. Et le pire c’est que c’est possible, l’homme se serait alors auto persuadé que c’est mieux ainsi, que sa place est dehors.
Je regarde ma chambre en bordel. J’ai des fringues un peu partout, mon lit n’est pas fait. Je me dis que j’adore cet endroit. Le soir, j’aime me blottir dans les draps avec un verre de Coca et quelques gâteaux pour regarder un film sur mon ordi ou lire mes romans. C’est mon coin, l’endroit où je suis protégé des regards qui me suivent le reste de la journée. Et là encore ces hommes dans la rue sont particulièrement malchanceux. Car ils n’ont nulle part où se préserver des regards des autres. Je profite d’un véritable privilège, d’un luxe presque : une intimité.
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