Au détour d’une conversation, Paris.
“Salut mon grand, de quoi parle t-on en ce moment en France ? De l’identité nationale. Quand j’étais à l’étranger au 14 juillet j’ai toujours été émue d’entendre la Marseillaise. Va donc savoir pourquoi…”
Message de ma grand-mère, 4 décembre 2009
La sonnerie retentit et je dis “à demain” à mes élèves. Je regarde le tableau blanc : j’ai énormément écrit aujourd’hui. J’ai les mains couvertes de craie. Je commence à effacer toutes les écritures. Mes élèves rangent leurs affaires et rejoignent le flot de filles dans le couloir.
Je regarde derrière moi. Une de mes élèves est toujours là. Elle a découpé un article dans le journal.
“C’est pour vous, Sir.” Il s’agit d’une photo et d’un article en hindi qui raconte les festivités de la veille. On me devine à côté de Madame la proviseur en train de lancer mes cacahouètes dans le feu.
“- Est ce que je peux vous poser une question, Sir ?
– Oui, bien sûr.
– Est ce que votre famille vous manque ? Moi si je devais vivre sans ma famille, je serais très malheureuse.
– Et bien… comment dire… en France la majorité des gens ne vivent pas avec leurs parents. ” Ma famille me manque beaucoup en vrai.
“- Sir, ça ressemble à quoi Paris ?
– Paris est une grande ville très vieille. Les bâtiments historiques comme Notre Dame cotaient les bâtiments haussmanniens qui se ressemblent beaucoup autour des grands boulevards et il y a aussi quelques éléments d’architecture moderne…” Quelle description froide. Comment raconter à mon élève ce que j’ai pu vivre dans cette ville. Une de mes amies à Paris a récemment écrit : “Paris est ralenti, je crois qu’elle a un peu le cafard ces derniers temps. Le brouillard et le froid sont constants et y’a pas grand monde dans les rues…”. Je ne sais pas pourquoi je me vois allongé sur les pelouses devant Saint-Eustache en été, puis à la terrasse d’un café en train de boire du rosé. L’UGC Les Halles un jour d’avant-première. La queue de la bibliothèque de Beaubourg, un Vélib garé en bas de Trévise et les packs de panaché à monter au cinquième étage les jours où il fait très chaud. Puis le soir, lorsque le soleil se couche, monter sur le toit pour apercevoir le sacré coeur…
“Paris a été fondé autour de l’île de la Cité, là où se trouve la cathéd…”. C’est ce qui manque à ces jeunes filles. Il leur manque une grande ville, un endroit relativement safe où elles puissent oser ce qu’elles veulent et sortir un peu de l’influence de leur famille. Un endroit où elles puissent faire des conneries le samedi soir et revenir à leur quotidien le lundi matin. Une ville où elles puissent voir des gens habillés différemment… bref ces jeunes femmes ont besoin d’un peu de superficialité.
“… mais je vous montrerai des photos.
– Thank you Sir.”
Même si j’essaie de ne pas y penser je sais que la France me manque. Je pense rentrer début avril. Encore quelques journées à passer à rêver d’un demi en terrasse.
Hemingway a écrit dans le roman Moveable Feast (dont j’ai trouvé un vieil exemplaire à la bibliothèque) :“If you are lucky enough to have lived in Paris as a young man, then wherever you go for the rest of your life, it stays with you, for Paris is a moveable feast.”
January 19th, 2010