Je repense à cette semaine, assis près du feu
– Mardi, dans l’avion entre Bangkok et Delhi, j’ai été surpris par le ton d’un Indien qui parlait très fort et très mal à une hôtesse de l’air. Il demandait à être servi avant les autres. J’étais surpris car je m’étais habitué au ton plus calme des Thaïs. Mercredi matin, j’ai visité un peu Delhi. Plus je découvrais de nouveaux lieux, plus je me disais que ça me prendrait un temps fou pour bien connaître cette ville. Depuis plusieurs mois, Delhi change, s’embellit en préparation des Jeux du Commonwealth qui se teindront en novembre. Mercredi soir, j’attends pendant cinq heures mon train. Je m’occupe en regardant tout ce qui se passe autour de moi. Puis je me presse près du guichet qui sert à manger. Les gens se poussent, se tassent, tendent le bras pour demander un sandwich. Au bout de quelques minutes, j’ai beau être devant tous les autres, je n’ose toujours pas hausser le ton pour demander ce que je veux. Puis je crie au point de me surprendre moi-même “Burger with ketchup”. Il me sert le petit pain avec le pavé de pommes de terre, prend mes 20 roupies et je sors de la masse en essayant de ne pas renverser la sauce, tout fier de moi.
– Jeudi, après 12 heures dans le train, j’arrive avec mon sac en bandoulière et ma barbe à l’université. Les gardiens voient ma silhouette se former à travers la brume. Après trois semaines de vacances, ils m’accueillent en me prenant dans les bras. Pourtant je n’ai jamais réussi à échanger plus de trois mots avec ces hommes. Juste des sourires et des poignées de main.
– Vendredi, je décide de ne pas me raser. Du coup, j’ai droit à plein de commentaires de la part de tous mes collègues. Mes élèves ont très peu travaillé pendant les vacances. Je suis surpris d’entendre des “Bonne année”…
– Samedi,la brume disparaît un peu et il fait moins froid. Un de mes collègues me demande si ça m’arrive de boire de l’alcool. Lorsqu’il en parle, j’ai l’impression d’écouter un enfant, tellement il a l’air excité a l’idée que je dise ‘oui’. L’alcool n’est pas dans les moeurs. J’essaie d’expliquer gentiment que c’est assez commun de boire un peu d’alcool pendant le repas ou en apéritif. Mais comment expliquer ça à des gens qui associent l’alcool à un comportement déviant.
– Dimanche, je passe la plupart de la journée sans électricité. Jusqu’à ce que le gardien décide d’allumer le générateur. Bon sang, qu’est ce qu’on s’ennuie sans électricité. Je me fais bouillir un peu d’eau pour boire du thé. Dans ma tasse je peux voir des flocons de calcaire qui flottent. Le soir, je suis surpris du goût délicieux des plats qu’on nous sert à la cantine. Puis une de mes élèves vient me voir et me demande si j’ai aimé le dalh jaune. Et elle m’explique que tous les jours de la semaine nous avons les mêmes plats en boucle et que le dimanche c’est le dalh jaune. Je ne m’en étais pas rendu compte. J’ai l’impression d’être vraiment très bête.
En repartant vers ma chambre, je m’arrête avec les gardiens. Je regrette tellement de ne pas parler plus hindi. Ils sont tous les quatre assis autour d’un feu qu’ils alimentent avec de vieux meubles récupérés derrière les salles de cours. Je les écoute parler, sans comprendre quoi que ce soit. On est bien là près du feu dans la quasi obscurité. Nous portons tous un lohi, sorte de couverture qui sert à nous réchauffer un peu mais dont la couleur marron est déprimante. Il y a dans leurs rires et leur conversation quelque chose de reposant. Ces hommes vont passer la nuit sur ces chaises en plastique à surveiller le campus près du feu.
– Lundi, je raconte la même histoire de France sous la neige à tous les Indiens qui veulent l’entendre. J’en fais des tonnes. Ils m’écoutent les yeux écarquillés. “Et donc lorsqu’on marche on glisse sur des plaques de givre. C’est très dangereux… et les camions ne peuvent plus circuler”… J’en rajoute un peu en disant que le pays est bloqué… Mais bon, toute cette neige, ça les fait un peu rêver. Ici le ciel est d’un blanc imperturbable et fatiguant, vivement la chaleur. Lorsque je dis ca a un de mes collegues, il me regarde comme si j’étais fou…
January 11th, 2010