Quentin et le Temple Doré
Chapitre 2 : Amritsar
Je sors donc mon mouchoir en tissu de ma poche et le noue sur mes cheveux. Je me regarde dans le reflet d’une vitre : j’ai l’air ridicule. Mais bon, autour dans la rue, il y a plein d’hommes qui portent un mouchoir de cette façon. D’ailleurs ils se dirigent tous dans la même direction, il serait peut être temps de commencer à marcher vers le temple. Pendant que je regarde autour, les filles ont commencé à se séparer en trois groupes. J’ai décidé que je ne visiterai pas le temple tout seul : je vais copier le moindre mouvement des deux wardens avec lesquelles je vais passer la journée.
On s’engage dans les rues d’Amritsar. Elles sont particulièrement sales et pleines de boues. Aux abords du temple il y a énormément de monde. Les pèlerins, parmi lesquels je me trouve, marchent comme une grande vague humaine vers la même direction. Autour de nous les vendeurs ambulants proposent des mouchoirs pour se couvrir la tête, d’autres vendent des boissons fraîches ou des cartes postales.
Première étape aux abords de l’enceinte du temple : enlever ses chaussures. L’une des wardens me propose de me rendre dans les toilettes si je veux être tranquille. Elle a peur que je sois offensé de devoir ôter mes chaussures devant autant de monde. Ca me fait rire et je lui fais comprendre que je vais faire comme tout le monde. En bas de quelques marches, il y a une grande salle qui sent très mauvais dans laquelle des milliers de paires de chaussures sont rangées.
Puis avant de rentrer dans l’enceinte du temple nous nous arrêtons près de grands lavabos pour nous laver les mains. Puis on passe par le pédiluve pour nous laver les pieds. Des soldats équipés d’armes traditionnelles posent près de l’entrée. On descend un autre escalier et tada, le temple est là au milieu du lac carré qui l’entoure. Je peux voir le spectacle surprenant de dizaines d’hommes qui se lavent dans ce lac. Les Sikhs, qu’on peut reconnaître par leur barbe et leur turban se plongent même entièrement dans l’eau. Vu que pratiquement aucun d’entre eux ne sait nager, ils se tiennent à des chaînes accrochées tout autour du bassin. Je me dis qu’ils sont fous de faire trempette là dedans, il fait assez froid. Je porte ma polaire d’ailleurs. Et c’est à ce moment que mon accompagnatrice me monde le bord de l’eau et me dit d’aller me purifier. Je me mets à sourire. Elle sait que je suis de tradition chrétienne, elle sait que tout le culte sikh m’échappe… et elle voit que je suis gêné à l’idée de me mettre à poil devant des milliers de gens pour aller me plonger dans une eau qui n’est autre qu’une grande mare d’eau stagnante dans laquelle les germes doivent se multiplier tranquillement. (Je me dis qu’une bonne Javel dose ça ne ferait pas de mal. Sauf que le Temple Doré est bien connu pour ses grands et beaux poissons rouges.) Bref me voilà déjà face à un premier problème à peine arrivé. Puis je me dis “What the 1%*$” et je fait trempette. Pas entièrement mais suffisamment pour faire super plaisir aux deux dames qui me regardent sans perdre une miette du spectacle.
Pour ses dames le fait que j’enlève mes chaussures pourrait être gênant mais me mettre en caleçon est normal ? Tout autour du bassin les hommes se dénudent sans que personne ne se cache ni ne s’offense de voir les corps qui se dévoilent. Le sacré recouvre le tout et rend cette quasi nudité tout à fait normale.
Nous reprenons notre périple autour du bassin. Un peu partout je peux voir ces touristes étrangers qui semblent perdu. Une maman tient son fils par la main. Le petit garçon américain porte un costume de Spider Man alors qu’une jeune femme indienne le prend en photo avec son téléphone, tournant le dos au temple, ce qui n’est jamais sensé se produire. Tous les cents mètres une vitrine avec une statuette est posée avec une grande boîte juste devant. Les gens se pressent pour s’accroupir et mettre un peu d’argent dans la boîte, le tout sous le regard attentif d’un homme portant un turban et équipé d’un bâton au cas où un billet resterait coincé dans la fente de la boîte. Puis nous arrivons là où l’on peut acheter une pâte faîte de farine, de beurre et de sucre (prashad). Je ne comprends pas bien ce que nous faisons. En fait, nous achetons cette pâte (11, 21, 31 roupies ou plus, toujours avec une roupie en plus pour le signe de l’hospitalité) mais nous n’y touchons pas : nous devons rejoindre l’immense queue qui mène au temple doré situé au milieu du bassin. Nous sommes plusieurs centaines à être serrés. J’imagine une émeute ou un mouvement de panique avec toutes ces personnes âgées, toutes ces femmes qui tiennent leur bébé dans leurs bras : ça serait terrible. Les gens tenteraient peut-être de sauter dans l’eau et s’y noieraient. Aucun touriste ici, ils passent tous leur chemin et se contentent de faire le tour du bassin. Au bout d’une heure et demi nous entrons dans le temple. Trois hommes sont postés à l’entrée et se saisissent de notre prashad, ils en enlèvent la moitié et nous rendent le plateau. A l’intérieur du temple, rien d’extraordinaire : de l’or partout, des lustres et de beaux tapis. J’ai faim.
Nous sortons, finissons le tour complet du bassin et nous nous rendons à la cantine : voilà le spectacle le plus incroyable de la journée. Je suis absolument médusé. Des centaines de personnes sont installées en ligne. A l’entrée on nous donne un plateau et un bol et on nous fait signe de nous installer sur les petits tapis en jute. Des volontaires passent dans les allées et nous servent la nourriture. C’est un bordel monstre. On me propose de me resservir à plusieurs reprises. Je ne sais pas quoi attendre de cette nourriture, mais en fait, c’est assez bon. J’imagine le temps qu’il faut pour préparer ces milliers de repas. La warden qui se trouve à ma droite m’explique qu’on sert de la nourriture vingt quatre heures sur vingt quatre et sans jamais faire payer les gens qui viennent manger. A peine avons nous terminé notre plateau qu’une nouvelle ligne de personne venues manger se forme derrière nous.
Au moment de sortir de ce grand réfectoire je manque de glisser sur de la sauce sur le sol. Je regarde derrière moi les dizaines de personnes installées pour manger. Là c’est sûr aucun visage blanc, et pourtant c’était fun…
Pour ce qui est de la spiritualité, je suis assez déçu. Je suis venu en Inde avec l’idée que je trouverai de bons moments pour méditer et me surprendre moi même avec des sentiments nouveaux. Je ne le sais pas encore mais je suis à quelques heures d’avoir un de ces sentiments.
(à suivre)
December 16th, 2009