Identité nationale
Aujourd’hui c’est un peu plus le bordel que d’habitude.
Ce matin, lundi 7 décembre, le Pendjab est en état de paralysie totale. Mes cours ont été annulés car l’université est fermée pour cause de tensions inter-religieuses graves entre Sikhs et Hindous. Pas facile de comprendre ce qui se passe entre les deux communautés mais en tout cas les conséquences sont assez impressionnantes. Les gens avec qui j’en parle ont cette expression : “Punjab is closed”. Ce matin j’ai été réveillé par les sirènes et au moment de sortir j’ai vu toutes les boutiques avec rideaux tirés. Même le temple qui est habituellement rempli de croyants était vide, le silence qui y régnait était étrange, vu que d’habitude le lieu est très bruyant. Les deux communautés se détestent depuis longtemps. Il faut dire que les tensions entre ces deux communautés religieuses ne remontent pas d’hier. Il y a 25 ans, en juin 1984, l’armée indienne envahissaient le Temple Doré lors de l’opération “Blue Star” qui visait à déloger des militants indépendantistes sikhs réfugiés dans ce haut-lieu. A l’époque les Sikhs militaient pour la création d’un État autonome qui aurait ressemblé grosso modo au Pendjab actuel. La stratégie du leader sikh de l’époque était simple : il comptait construire l’identité sikh autour de la haine des hindous. Le premier ministre, Indira Gandhi, avaient envoyé l’armée et on avait alors vu des tanks entrer dans l’enceinte de ce lieu sacré. On avait compté près de 500 morts à l’époque et le pire aux yeux des croyants sikhs : une partie du temple, l’Akal Takht avait été abîmé par les combats. C’est à la suite de ces événements qu’Indira Gandhi, grande figure de la construction nationale indienne avait été assassinée par ses gardes du corps appartenant à la communauté sikh. Ce rappel très bref des faits décrit un épisode très douloureux pour le Pendjab. En effet, des manifestations de haine anti-sikh avaient mis l’État à feu et à sang. Ce qui agite la région ces jours-ci n’est en rien comparable aux événements passés mais cependant ils me font me demander comment des populations si différentes, qui peuvent autant se détester, ont réussi à construire un des États les plus riches du sous-continent. Et comment répondraient-ils à la question “Qu’est-ce qu’être indien ?”. La langue n’est pas un facteur d’unification, les gens ne parlent pas tous l’hindi (je ne parle même pas de l’anglais).
La mosaïque des cultures est incroyablement complexe et en plus la tradition est très importante pour les gens. Elle dicte à chacun la position à avoir et le discours à tenir en toute circonstance. Petit tour d’horizon des identités sikh et hindou : les Sikhs mangent de la viande, boivent de l’alcool. Les hommes portent des turbans et une dague à la ceinture. Leurs lieux de cultes sont les Gurdwaras où ils célèbrent 11 gourous et un dieu unique. Tous les hommes portent le même nom de famille (Singh). Les hindous sont végétariens et ne boivent pas d’alcool. Ils se rendent dans des temples et prient des dizaines de Dieux. Ils sont extrêmement superstitieux. Les femmes ne dévoilent pas leurs épaules ni leurs jambes mais laissent à l’air leur ventre. Elles portent des marques tracées au rouge entre leurs sourcils. Ces deux communautés sont les plus importantes au Pendjab. L’identité nationale indienne est un vrai bordel. Mais à vrai dire vivre en Inde c’est vivre dans un bordel monstre, le bordel c’est la norme. Et ça a ses bons côtés.
Sauf quand ça se traduit par de la violence sociale. Les manifestations de ces derniers jours sont liées à des affrontements à cause de problèmes à Ludhiana entre ces deux communautés. Pas facile de comprendre ce qui se passe et lorsque je pose des questions, les gens ne sont pas sûrs. Je demande à une de mes amies : “Alors il y a eu des morts pendant les manifestations ?” Elle répond “Mais non, mais non, à peine un ou deux…”
December 7th, 2009